2015 : Limites de la croissance : cette fois, le loup est là
Présentation de l’article de Matthieu Auzanneau par Jean-Pierre Dieterlen
Matthieu Auzanneau, l’auteur de l’excellent livre sur l’histoire du pétrole « Or Noir », lance un nouveau pavé dans la mare des idées reçues sur son blog Oil Man : Et si la loi de l’offre et de la demande était fausse dans une économie où les ressources vitales sont en raréfaction ?
L’idée qu’une ressource se renchérisse à mesure qu’elle s’épuise est sans aucun doute vraie pour des ressources auxiliaires et substituables mais pourrait bien être fausse pour les ressources vitales et non substituables à l’identique, celles sans qui l’économie tel qu’elle est ne pourrait plus tourner.
Dans son article, l’auteur esquisse une économie dont les ressources vitales décroissent et dont le régime ne serait pas l’inflation comme le prévoyaient la plupart des décideurs politiques, économiques et financiers mais la déflation. La cause en serait la paupérisation et le niveau faible de demande qui découle de la crise, toujours pas résorbée, de 2008.
Le pétrole n’étant pas une ressource comme les autres, n’en déplaise aux économistes néo-classiques, mais avant tout la source du formidable développement de l’humanité depuis le début de son utilisation au milieu du 19ème siècle et de la formidable puissance des nations, celles-ci sont en train de s’étioler à mesure qu’il devient plus difficile d’accéder à la ressource ultime.
Le facteur, sans doute mal quantifié mais pourtant capital dans la dynamique de l’économie, est en train de nous rattraper, il s’agit du Taux de Retour Énergétique (ERoEI en anglais). Ce facteur a été mis au jour par Charles Hall dans les années 80, grâce à l’analogie avec le taux de Retour sur Investissement (RoI). Il faut de l’énergie pour obtenir de l’énergie, et c’est ce rapport entre l’énergie investie et l’énergie obtenue qui nous donne l’énergie nette véritablement utile à la économie.
Nous avons commencé par collecter les stocks les plus abondants et les plus accessibles pour nous rabattre progressivement sur les moins intéressants (schistes, sables bitumineux, offshore profond etc…). Cette baisse du taux de retour énergétique génère mécaniquement moins de croissance, malgré les efforts fournis depuis le choc pétrolier de 1973 et les progrès en efficacité énergétique de nos machines et de nos moyens de transport.
Si bien que nous ne pouvons tout simplement plus nous offrir le pétrole, si ce n’est à coup de dettes souveraines et de Quantitative Easing (assouplissement quantitatif), ce que l’on peut résumer à faire tourner la planche à billet, obérant toujours un peu plus l’avenir, pour tenter de contrer la spirale déflationniste dans laquelle les pays de l’OCDE (Japon, USA, Europe…) sont aspirés.
Il y a maintenant plus de 40 ans (en 1972) le rapport Meadows « Limits to Growth » nous mettait en garde contre une croissance irrépressible et tel un individu drogué, nous allons devoir nous asseoir maintenant à un banquet de conséquences*…
Everybody, sooner or later, sits down to a banquet of consequences. (Robert Louis Stevenson)
Limites de la croissance : cette fois, le loup est là – Mathieu Auzanneau :
La production du pétrole de schiste chute, celle du gaz de schiste pourrait très bientôt en faire autant. Il n’y a pas que le pétrole : les prix de toutes les principales matières premières se sont effondrés. Et de très sérieux doutes pèsent sur l’économie de la Chine…
Le voile tendu lors de la crise de 2008 par des politiques monétaires fabuleusement accommodantes est-il en train de se déchirer ?
Les « limites de la croissance » pourraient apparaître par une spirale déflationniste : par une évolution des revenus incapable de faire face à l’inflation des coûts d’extraction des matières premières. Danger.
Peut-être que tous les économistes sont victimes d’illusions optiques : non seulement les médecins de Molière qui professent l’approche standard, anthropocentriste, de l’économie, et se perdent dans une forêt de diagnostics sur les causes de la « stagnation séculaire » (phénomène prétendument énigmatique qui, depuis le premier choc pétrolier en 1973, fait s’étioler la croissance économique comme un oued à la saison sèche).
Mais une autre illusion d’optique pourrait avoir trompé les tenants de la balbutiante approche « biophysique » de l’économie, que je défends sur ce blog : celle qui considère l’économie avant tout comme un phénomène tributaire des ressources matérielles et des lois sans transigeance de la physique. Pour les pionniers de ce nouveau paradigme possible, la proximité des limites physiques à la croissance était le plus souvent censée devoir se manifester par une envolée sans fin des prix des matières premières en général, et du pétrole en premier lieu. Cette envolée, qui s’est produite au cours des années 2000 et jusqu’à l’été 2014, exprimerait les difficultés naturelles inexorablement croissantes auxquelles l’industrie se trouve confrontée pour extraire les facteurs matériels que requiert la croissance économique.
C’est aujourd’hui le contraire qui se passe…
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