2017 : Des problèmes de l'occident et leur lecture naïve

Par Pascal Tabary

C’est l’histoire d’un petit garçon et d’une petite fille qui jouent dans le sable de la plage de Kayar, le village des pêcheurs sur la côte sénégalaise, un peu au Nord de Dakar et ça n’est pas forcément une histoire drôle.

Plage de Kayar – Sénégal. Pascal Tabary Mai 2017
Plage de Kayar – Sénégal. Pascal Tabary Mai 2017

”Tu sais que dans les pays froids comme la France, certaines personnes ont très très peur que des choses terribles arrivent dans les prochaines décennies ?”

“Ah bon ?! Quel genre de choses ?”

“Des choses horribles à cause de l’action de l’homme sur la planète.
Ils parlent de dérèglements climatiques, de montée des eaux, de désertification…. enfin de choses qu’on connait déjà nous ici.”

“Oui comme la bande des filaos qui ont été plantés il y a 40 ans pour arrêter l’érosion due aux vents et à la marée (1).
Mais tu sais, il faudrait juste quelques moyens pour relancer cette bande et surtout stopper la spéculation immobilière qui fait que quelques uns, viennent la nuit et privatisent ce qui appartient à tous”.

Bande des Filaos. Côte sénégalaise — Pascal Tabary Mai 2017
Bande des Filaos. Côte sénégalaise — Pascal Tabary Mai 2017

“Ces gens qui ont peur redoutent de manquer de pétrole mais ils accusent aussi le pétrole d’être la cause des dangers environnementaux qui menacent tout le monde et en particulier leur mode de vie”.

“Oui mais ils ont beaucoup plus besoin de pétrole que nous il semblerait.
Concernant le littoral, justement, notre gouvernement vient d’accorder à Total une concession sur le pétrole qu’on trouve au fond de la mer, comme ça ils en auront encore un peu pour leurs voitures, leurs camions et leurs industries. Il faudra construire beaucoup d’infrastructure ce qui donnera beaucoup de travail mais il y aura des impacts aussi.
On ne peut pas tout avoir…”

Total, premier fournisseur du Sénégal depuis 1947. Pascal Tabary Mai 2017
Total, premier fournisseur du Sénégal depuis 1947. Pascal Tabary Mai 2017

“Ils parlent beaucoup d’énergies, ils ont très très peur d’en manquer pour leur voiture qui leur sert à aller au travail ou pour chauffer leurs grandes maisons quand il fait froid et pour leurs frigos qu’ils utilisent même quand il fait froid et aussi leurs super téléphones intelligents. Ils parlent beaucoup d’électricité solaire, de nucléaire enfin, des trucs qu’on ne comprend pas bien nous.”

“Remarque, il y a bien cette centrale électrique au charbon en construction à Bargny mais elle risque vraiment, en s’ajoutant à la cimenterie, de compromettre le travail de séchage du poisson de nos tantes. (2)
Peu importe au final, il est clair que ici, compte tenu du prix de l’électricité, tout le monde ne peut y avoir accès et encore moins un réfrigérateur. Heureusement que nos artisans savent faire les choses sans.”

Artisan ébéniste à Dakar -Sénégal. Pascal Tabary Mai 2017
Artisan ébéniste à Dakar -Sénégal. Pascal Tabary Mai 2017

“L’énergie pour eux c’est un peu comme l’eau pour nous, ils ne peuvent pas vivre sans on dirait. Comme ils ont peur de manquer de pétrole, ils parlent beaucoup de voitures électriques et quand certains parlent de revenir à l’utilisation des animaux alors ceux qui ne mangent pas d’animaux les traitent d’esclavagistes, c’est parfois très violent comme discussions.”

“Il faudra en parler au cousin Seydou, il leur enverra une de ses meilleures mules, peut être ça les fera changer d’avis…”

Transports en tous genres Dakar -Sénégal. Pascal Tabary Mai 2017
Transports en tous genres Dakar -Sénégal. Pascal Tabary Mai 2017

“Concernant les animaux, ils parlent de production industrielle, d’abattoirs monstrueux, d’importations d’aliments génétiquement modifiés produits dans des pays pauvres où on rase des forets entières et ils ont très peur de ne plus avoir à manger alors certains vont jusqu’à dépenser des fortunes en boites de conserves qu’ils enterrent “au cas où”.”

“Oh là là, comme ça doit être dur de vivre comme eux. Nous ,on est beaucoup plus libre, quand il n’y a plus d’herbe à manger avant l’hivernage, les chèvres se débrouillent toute seules pour se nourrir, c’est bien plus écologique”

Village de Niaga Ouolof - Sénégal. Pascal Tabary Mai 2017
Village de Niaga Ouolof - Sénégal. Pascal Tabary Mai 2017

“Tu évoques l’esclavage en parlant des animaux mais ils sont très inquiets aussi des migrants qui quittent nos pays pour trouver un avenir meilleur chez eux. Certains sont vendus sur les marchés aux esclaves en Libye, d’autres parviennent à passer la méditerranée et meurent de froid dans leurs rues en hivers.”

“C’est quoi qui les gêne tant ? Le retour de l’esclavage, d’être envahis, d’être complices de la mort des gens, d’être indifférents ? Je ne comprends pas très bien.”

“Je crois que comme nous avec les migrants maliens ou mauritaniens, ils ont un peu honte de voir des humains dégradés au rang de bêtes de sommes mais ils n’ont pas envie de faire leur travail ni de les payer correctement et encore moins de leur donner un statut officiel ou faire pression sur leur gouvernement, ça créerait des précédents à ce qu’il parait.”(3)

Femme malienne “employée” par le syndicat des exploitants du lac Rebtha . P. Tabary Mai 2017
Femme malienne “employée” par le syndicat des exploitants du lac Rebtha . P. Tabary Mai 2017

“Il n’y a pas que ça comme problèmes selon ces gens. Il y a la raréfaction des ressources alimentaires comme par exemple la diminution drastique des ressources en poissons à cause de la surpêche.”

“Ah oui, comme ce que dit notre père qui doit toujours partir plus tôt, aller plus loin pour pêcher moins de poissons et des poissons toujours plus petits. Il dit que c’est aussi à cause des gros bateaux qui raclent le fond de l’océan et qui ne laissent plus rien après leur passage.”

Pêcheurs traditionnels sur la plage de Kayar -Sénégal. Pascal Tabary Mai 2017
Pêcheurs traditionnels sur la plage de Kayar -Sénégal. Pascal Tabary Mai 2017

“Et puis ils parlent aussi de sécheresses accrues, de phénomènes climatiques exceptionnels qui ruineraient les cultures et forceraient les populations à se déplacer.”

“Tu veux dire comme les centaines de familles qui ont été forcées de partir de Dakar suite aux inondations et qu’on a installé sans accompagnement à Ndiagué, tu sais, l’école où ils sont 87 en classe le matin, ceux du village quand il fait encore bon et 87 l’après midi, les réfugiés, quand les puces montent sur les jambes sous les toiles de tente ?”

Salle de classe et bureau du directeur, école de Ndiagué -Sénégal. Pascal Tabary Mai 2017
Salle de classe et bureau du directeur, école de Ndiagué -Sénégal. Pascal Tabary Mai 2017

“Les inquiétudes de ceux qui se penchent sur ces questions portent pour beaucoup sur le démantèlement de l’état de droit, le chaos qui pourrait suivre un dérèglement majeur dans l’organisation sociale, plus de justice, la loi du plus fort. Certains parlent même du retour du travail des enfants.”

“Ah, et ça serait payé combien si on remettait les enfants au travail parce que mon cousin qui fabrique des pirogues de pêche, il travaille contre de la nourriture, un repas par jour pour lui et sa grand mère. Il est orphelin.”

Chantier des pirogues de pêche, Kayar — Sénégal. Pascal Tabary Mai 2017
Chantier des pirogues de pêche, Kayar — Sénégal. Pascal Tabary Mai 2017

“Pourtant ils disent qu’il y a des solutions, le recyclage, l’économie circulaire et d’autres solutions techniques qui ressemblent à des miracles. Ils disent même que nous pouvons participer à cela grâce à des aides des pays riches.”

“Oui, oui ! J’ai vu quelque chose comme ça au village de Ngor, je n’ai pas bien compris à quoi ça servait mais ils font ça avec de grandes entreprises comme Bolloré et Eiffage et utilisent tout le temps le mot de RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale) dans leurs discours .” (4)

Point de collecte plastique ville d’Ngor - Sénégal. Pascal Tabary Mai 2017
Point de collecte plastique ville d’Ngor - Sénégal. Pascal Tabary Mai 2017

“Mais alors, ces gens qui ont si peur de ce qui va arriver à cause de l’action humaine sur le climat et l’environnement, ils font quoi ?”

“Certains écrivent des livres sur une nouvelle économie permacirculaire ou symbiotique, d’autre sur la coopération qui devrait nous sauver, certains sont plus sombres et constatent que quoi que l’on fasse cela ne fera qu’aggraver la situation. Ils font des conférences, créent des pages facebook, des associations qui ont vocation à informer. Ça c’est pour les plus visibles.
D’autres vivent une vie plus simple sans illusion. Certains s’arment et retournent vivre à la campagne. D’autres encore vont faire pousser des salades dans des bacs à crottes de chien en ville.

Enfin, la plus grande majorité cause sur internet et ne fait rien…”

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Conférence pour Adrastia (5) : Dérèglements climatiques, Énergies renouvelables et Développement durable. Centre Régional de Formation des Personnels de l’Éducation de Rufisque, Sénégal. Juin 2017

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